Les pratiques du yoga

Une circulation des savoirs yogiques entre l’Inde et la France

Journées d’étude internationales organisées par les laboratoires L-VIS, Centre Max Weber et CRESCO (EA 7419, Univ. Toulouse), avec le soutien de la MSH Lyon St-Etienne dans le cadre du projet YOGAPROFS.

Diffusé en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord dans la seconde moitié du XXe siècle, le yoga postural moderne (De Michelis, 2004) connait, depuis une dizaine d’années un développement sans précédent (Singleton and Byrne, 2008) en France. Cette pratique se place ainsi au dix-huitième rang des pratiques physiques et sportives des français (Syndicat National des Professeur·e·s de Yoga 2021 ; Enquête Nationale sur les Pratiques Physiques et Sportives des français·e·s 2020 : le nombre des pratiquant·e·s a été multiplié par trois au cours des dix dernières années. En effet, en 2021, 15 % de la population active (soit 7,6 millions de personnes) pratique régulièrement le yoga. Cette dynamique, accentuée par les confinements de 2019 et 2020, s’accompagne d’un élargissement des modalités de pratiques. Dans les pays nord-américains comme en Europe le yoga a ainsi pénétré les institutions scolaires (Garcia, Fraysse, and Bataille 2022 ; Augenstein 2013 ; Bruneaux, 2022), de santé (Hoyez, 2007) ou encore judiciaires (Godrej, 2022). Il participe également à remodeler les pratiques dans de nombreux espaces de vie professionnelle (Schnabele, 2013) comme non-professionnelle (Kern, 2012) à la faveur d’un essor plus large des pratiques d’optimisation de soi (Dalgalarrondo & Fournier, 2019 ; Röcke, 2021) telles que le coaching, la psychologie positive ou la pleine conscience (Cabanas & Illouz 2019, Marquis 2014). Cette diffusion du yoga et les questions complexes qu’elle soulève mobilisent depuis une dizaine d’années la recherche académique à la croisée de plusieurs champs scientifiques.

 

D’abord, les yogas studies (Placido, 2018) s’intéressent aux logiques de diffusion transnationales du yoga de l’inde vers d’autres pays. Ces travaux d’anthropologues ou de sociologues des religions mettent en évidence certains traits communs aux pratiques de yoga en Amérique du Nord et en Europe occidentale : usage central des postures corporelles (« assanas ») (Singleton, 2010) et choix de certains corpus plutôt que d’autres (De Michelis, 2004). Ces éléments communs aux pratiques de yoga européennes ou nord-américaines sont analysés comme le produit de d’influences croisées, de relations de domination et de mimétisme entre l’Inde et les terres d’accueil des savoirs yogiques (Newcombe, 2019).
Ensuite, certaines recherches insistent sur les liens entre cette diffusion du yoga et le développement du néo-libéralisme dans les sociétés nord-américaines et européennes à la fin du XXe siècle (Godrej, 2017). La très faible régulation institutionnelle du yoga aussi bien au niveau national qu’international semble entraîner un développement et une multiplicité des formes de pratiques sous l’angle d’une concurrence accrue et toujours plus rude. Sur le marché florissant de l’aide à la prise en charge de son propre bien-être (Jain, 2012 ; Puustinen and Rautaniemi, 2015) il devient indispensable de se démarquer par des écoles, approches et supports diversifiés.

 

Enfin, d’autres études interrogent l’articulation entre l’idéologie néolibérale et le yoga dans une perspective théorique. Le yoga sous sa « forme occidentalisée » est alors envisagé comme un vecteur de diffusion et de renforcement d’une vision néolibérale du sujet (Smith and Atencio 2017), notamment par l’imposition de normes et de valeurs issues de sa réappropriation dans les pays « occidentaux ». Véhiculées principalement par les réseaux sociaux, les normes corporelles se traduiraient par l’injonction à un corps athlétique (musclé mais pas trop, mince sans être maigre) et souple (Affre et al., 2023 ; Strings et al., 2019 ; Hinz et al., 2021). Les normes morales valoriseraient un individu « équilibré » (Rosen, 2019), « automne » et gérant ses actions à l’aune de leur rentabilité en termes de bien-être personnel (Koch, 2015). Mobilisant les travaux de M. Foucault (1978) et de N. Rose (1989) ces analyses associent la popularité du yoga moderne à la diffusion de plus en plus large d’une biopolitique ou plus précisément d’une ethopolitique (Rose, 2002) positionnant l’individu comme un entrepreneur de soi dans sa vie professionnelle mais également dans des domaines qui échappaient jusqu’alors à une forme de rationalisation économique (sociabilité, santé, etc.) (Markula, 2014).

 

Aux côtés de ces travaux, se développent depuis moins d’une dizaine d’années en France des études sociologiques qui montrent que les modalités d’appropriation du yoga sont variables (Nizard 2020) et relèvent de processus sociaux plus larges. Chez les ultra-riches mondialisés la pratique du yoga est ainsi utilisée comme un moyen d’augmenter leurs performances professionnelles (par le développement des capacités de concentration par exemple) (Causin et Chauvin, 2019) alors que dans les classes populaires établies loin des grandes métropoles, les cours de yoga seraient plutôt l’occasion de partager des moments de convivialité (Madec, 2017). Pour les classes moyennes urbaines ou de centre-ville, cette pratique peut être envisagée comme un outil pour travailler sur soi et consolider une ascension sociale (Madec, 2017). Ainsi, pour les individus connaissant une trajectoire sociale (familiale ou individuelle) en déclin, l’investissement dans la dimension spirituelle du yoga légitimerait le détachement de certaines valeurs -notamment matérialistes- et favoriserait la relativisation des échecs de transformation d’un capital scolaire en position dominante stable (Altglas, 2014).

 

L’objectif de ces Journées d’Études n’est pas de s’engager dans l’une ou l’autre des approches présentées ici mais de les faire dialoguer. En rassemblant des sociologues, anthropologues et philosophes, il s’agit de mettre en discussion les analyses de la diffusion actuelle des pratiques de yoga en France avec ses modalités de production en Inde, les philosophies indiennes afférentes et les thèses de l’optimisation de soi.

 

Programme

Lundi 20 mars 2023 (13h30-17h15)
Introduction des journées – Marie-Carmen Garcia, professeure des universités en sociologie
(Université Lyon 1, L-ViS)
L’espace des pratiques du yoga en France – Pierre Bataille, maître de conférences en sociologie (Université Grenoble-Alpes, LARAC) et Brice Lefevre, maître de conférences en sociologie (Université Lyon 1, L-ViS)
Tensions définitionnelles autour du yoga à l’école – Marie Doga et Emilie Salaméro, maîtresses de conférences en sociologie (Université Toulouse 3, CRESCO)
La sociologie des méditant.e.s – Sylvia Faure, professeure des universités en sociologie (Université Lyon 2, Centre Max Weber)

 

Mardi 21 mars 2023 (10h-17h)
Le Festival International de Yoga à Rishikesh (Inde) : harmonie universelle et repli identitaire – Johan Krieg, doctorant en ethnologie (Laboratoire d’Ethnologie et de Sociologie Comparative - UMR 7186 / Université Paris Nanterre, IrASIA)
Le yoga dans les universités indiennes : défis pratiques, enjeux politiques – Raphaël Voix, chargé de recherche en ethnologie (CNRS, CEIAS)
The Yoga Field: A Bourdieusian Account of Yoga’s Contested Status, Malleable Character and Hybrid Nature [en anglais] – Matteo Di Placido, enseignant-chercheur en sociologie (Université de Turin)
Le yoga comme pratique d’optimisation de soi ? – Anja Röcke, enseignante-chercheuse en
sociologie (Centre Marc Bloch, Berlin)
Table ronde et clôture des journées d’études – animée par Mélie Fraysse, maîtresse de conférences en sociologie (Université Toulouse 3, CRESCO)

 

Comité d’organisation

Marie-Carmen Garcia (Univ. Lyon 1, L-ViS)
Sophie Denave (Univ. Lyon 2, CMW)
Mélie Fraysse (Univ. Toulouse 3, CRESCO)

 

Informations pratiques

Localisation : MSH Lyon St-Etienne, 14 avenue Berthelot, Lyon 7e (espace Marc Bloc, rdc).
Ces journées pourront aussi être suivies en distanciel (visioconférence).

Inscription gratuite mais obligatoire (présentiel ou distanciel) >> formulaire en ligne

Contact : Marie-Carmen Garcia (Univ. Lyon 1, L-ViS) - marie-carmen.garcia (a) univ-lyon1.fr

À télécharger

Programme complet & informations (pdf)

Affiche de l'événement (jpg)

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